L’indignation des Ukrainiens peut être un avantage militaire

L’indignation des Ukrainiens peut être un avantage militaire

L’indignation des Ukrainiens peut être un avantage militaire

OPINION. Chercheur au Centre de politique de sécurité de Genève, Jean-Marc Rickli analyse les tournants de la guerre contre l’Ukraine, qui est entrée dans une seconde phase avec l’annonce d’une concentration des forces russes sur le Donbass

Le conflit est entré dans une seconde phase. Le 25 mars dernier, le chef adjoint de l’état-major russe avait annoncé que ses troupes se concentreraient sur la conquête du Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Cette nouvelle stratégie a mis quelques jours pour se matérialiser sur le terrain. Les forces russes qui tentaient d’assiéger Kiev se sont maintenant repliées en Biélorussie et en Russie.

Le redéploiement russe vers le Donbass va encore prendre du temps. Ce front est distant de plus de 700 kilomètres. L’armée russe utilisera probablement le réseau de chemin de fer. Elle doit aussi reconstituer les unités qui ont subi les plus grosses pertes. Selon plusieurs sources occidentales, l’armée russe aurait perdu dans la première phase de la guerre un quart des 120 groupements tactiques interarmes engagées dans l’invasion de l’Ukraine. Ces bataillons renforcés comprennent des unités d’infanterie, d’artillerie, de chars et de défenses antiaériennes, soit entre 700 et 900 hommes. Il faut reconstituer ces unités et remonter le moral des troupes restantes.


Une victoire pour le 9 mai?

Plutôt que la chute du gouvernement ukrainien et sa capitulation, la conquête de la totalité du Donbass – dont la Russie affirmait contrôler 93% du territoire de la région de Louhansk et 54% de celle de Donetsk après un mois de combat – apparaît pour la Russie comme un objectif minimal comparé aux buts de guerre initiaux. Vladimir Poutine espère sans doute annoncer une victoire dans le Donbass d’ici le 9 mai, date très symbolique qui marque la célébration de la victoire sur l’Allemagne nazie. Pour y parvenir, l’armée russe espère encercler et couper le ravitaillement du fer de lance de l’armée ukrainienne retranchée face aux républiques séparatistes du Donbass.

S’il parvient à détruire ces forces, la Russie pourrait prétendre avoir en partie «démilitarisé» l’Ukraine. Vladimir Poutine pourrait également proclamer sa «dénazification» puisque le bataillon nationaliste Azov aura été vaincu dans le port de Marioupol, ville qui résiste toujours malgré les bombardements intensifs de ces dernières semaines. Avec le contrôle du Donbass, le président russe aurait ainsi créé un fait accompli en vue de futures négociations. Ou alors la Russie pourrait relancer son offensive vers le port d’Odessa ou le long de la rive orientale du fleuve Dniepr, pour mettrre la main sur toute l’Ukraine «utile».

Mais la Russie est-elle capable de conquérir la totalité du Donbass? Jusqu’à présent, son armée a montré de graves lacunes dans le combat interarmes, impliquant la coordination entre l’infanterie, l’aviation, l’artillerie ou les troupes mécanisées. Les Russes ont récemment pris Izioum et menacent Sloviansk dans l'est de l'Ukraine. Mais
l’armée ukrainienne pourra aussi transférer des forces depuis Kiev pour prêter mainforte à leurs troupes dans le Donbass. Et les Occidentaux, notamment la République
tchèque, ont commencé à livrer des chars de combat à l'Ukraine, notamment des T-72. Les Etats-Unis devraient leur emboîter le pas.

 

Durcissement du conflit

Les Ukrainiens sont aussi galvanisés par les atrocités commises par les forces russes après leur retrait des environs de Kiev, vu comme une victoire par l’Ukraine. On ignore encore si les massacres sont le fait d’éléments russes incontrôlés, si ce sont des actes revanchards après la forte résistance ukrainienne ou s’il s’agit d’une stratégie globale visant à semer la terreur. Une chose est certaine: on ne parle plus de négociations, alors que, la semaine dernière, les deux camps disaient se rapprocher d’un accord. Cette indignation peut être un avantage militaire. Les Ukrainiens résisteront d’autant plus farouchement, maintenant qu’ils ont vu les exactions commises par l’armée russe dans les zones occupées. Le confliit risque encore de se durcir. 

 

Cette article a été publié originalement dans Le Temps. Les Opinions publiées par Le Temps sont issues de personnalités qui s’expriment en leur nom propre. Elles ne représentent nullement la position du Temps.