Ecriture diplomatique

L'écriture diplomatique

Ecriture diplomatique

By Ambassadeur Jean-David Levitte , Président du Conseil de fondation du GCSP

Madame la Présidente, très chère Hélène,  
Mes chères Consœurs, mes chers Confrères, 
Mesdames et Messieurs,

 
Il doit y avoir une affinité particulière entre écrivains et diplomates si j’en juge par le nombre et la qualité de ceux qui ont superbement réussi dans cette double vocation : Chateaubriand, Stendhal, Lamartine, Claudel, Giraudoux, Morand, Saint-John Perse, Romain Gary, pour n’en mentionner que quelques-uns, et, aujourd’hui même sous cette coupole, Jean-Christophe Rufin, Daniel Rondeau et Maurizio Serra. Mais ce n’est pas le sujet qui m’a été attribué ! Il me faut vous parler d’ « écriture diplomatique ». Et, dans ce lieu, les deux noms qui s’imposent à ce sujet sont bien sûr ceux de Richelieu et de Mazarin : en leur temps, ils en furent les maîtres incontestés.  

En leur temps… Mais, au fait, de quand datent les « écritures diplomatiques » ? Au risque de vous surprendre, je dirais qu’elles sont nées dès les origines de la civilisation, lorsque l’humanité, aux IVème et IIIème millénaires avant J.-C., a découvert l’agriculture le long des grands fleuves, le Nil, le Tigre et l’Euphrate, l’Indus et le Gange, le Yang Tsé et le fleuve Jaune. Le long de ces fleuves sont nées les premières cités, avec leurs réserves de vivres, leurs soldats pour les protéger et leurs alliances pour gérer leurs rivalités et les menaces auxquelles elles devaient faire face. Sur les écrans apparaît la plus ancienne « écriture diplomatique » qui nous soit parvenue. Il s’agit d’une tablette d’argile d’écriture cunéiforme trouvée à Suse en Mésopotamie et conservée au Louvre. Elle date de 2 250 avant J.-C. et est véritablement le plus ancien traité connu : le texte énumère les dieux garants de l’alliance conclue, puis vient l’engagement : « l’ennemi de Naram-Sin est mon ennemi ; l’ami de Naram-Sin est mon ami. » En un mot, un pacte d’alliance entre le roi d’Akkad et le roi d’Awan, suzerain de Suse. 

Puis vint le temps des vastes empires, des frontières repoussées au plus loin, mais guère de la diplomatie ! Il fallut attendre près d’un millénaire après la disparition de l’empire romain d’Occident pour que réapparaissent pleinement les « écritures diplomatiques », entre les villes d’Italie du Nord d’une part, et celles de l’Europe du Nord d’autre part, avec leurs maîtres : Machiavel au Sud et Grotius au Nord.  

Le traité de Westphalie (photo) mit fin en 1648 à l’un des plus longs et des plus sanglants conflits de l’Histoire : la « Guerre de Trente ans ». Un droit nouveau apparut : tout Etat, petit ou grand, a les mêmes droits sur la scène internationale ; la souveraineté nationale est inviolable et impose la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. La paix de Westphalie, négociée pendant quatre ans par trois cents représentants, est un modèle d’ « écriture diplomatique », « LE » modèle dont vont s’inspirer les négociateurs du Congrès de Vienne en 1815, puis ceux des Chartes de la SDN et de l’ONU.  

Autant d’ « écritures diplomatiques » qui ont fondé un ordre occidental, devenu l’ordre mondial.

D’autres textes majeurs sont venus s’y ajouter. Pour nous, Européens, comment ne pas mentionner la déclaration écrite par Jean Monnet et lue le 9 mai 1950 par Robert Schuman (photo), proposant la création de la « Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier » ? A l’origine de deux guerres mondiales, l’Europe montrait un chemin nouveau, celui de la souveraineté partagée, construite jour après jour par une cohorte de diplomates. En quelques décennies, ils ont fait de l’Union européenne l’ « empire des normes ». Leur métier, leur passion, vécue au quotidien, est l’ « écriture diplomatique ». 

 

Chères Consœurs, chers Confrères, chers amis, 

Au terme de quatre décennies d’apprentissage et de vie diplomatique sur plusieurs continents, quelles leçons partager avec vous sur l’art et la manière de pratiquer cette « écriture diplomatique » ? Il en est quatre qui me paraissent particulièrement importantes et qui n’ont pas changé depuis Machiavel et Talleyrand.  

La première porte sur la transmission de l’information. Les journalistes et les diplomates ont le même devoir de transmettre des informations précises, exactes. Celles des diplomates sont au service de la politique étrangère et l’influencent. Dès mon premier poste à Pékin en 1973, j’en fis l’expérience : le Quai d’Orsay nous annonce que le président Pompidou a le projet d’effectuer la première visite en Chine d’un chef d’Etat français. L’Ambassadeur me demande une note sur la situation intérieure. Je la rédige aussi précisément que possible, décrivant l’état catastrophique du pays à la suite de l’échec du Grand Bond en Avant et de la Révolution Culturelle. Il me convoque et me dit : « Si Pompidou lit votre note, il pourrait bien décider de ne pas venir. » Je lui réponds : « Mais c’est la vérité et nous avons le devoir de la dire ! » « Bien sûr », me répond-il. « Et vous ne devez rien changer. Mais vous devez rédiger une deuxième partie, toute aussi importante, pour dire que la Chine millénaire se relèvera de ce double désastre et que le général de Gaulle a eu raison de la reconnaître en 1964. La visite du Président Pompidou s’inscrit dans la même vision de long terme. L’écriture diplomatique, au-delà des faits, doit contribuer à l’élaboration et à la mise en œuvre de notre politique étrangère. »  

Le Président Pompidou vint donc à Pékin et, jeune preneur de notes à ses entretiens, j’ai été fasciné par son dialogue avec le Premier Ministre Zhou Enlai (photo) : Pompidou lui expliqua pourquoi notre relation avec la Chine était d’une grande importance pour la France. Un véritable exposé digne de Sciences-Po, en deux parties, deux sous-parties, une introduction, une conclusion. Zhou Enlai dit en retour pourquoi Pékin attachait une grande importance à ses relations avec Paris. Le message était peu différent mais son style l’était : il ressemblait à un papillon butinant de fleur en fleur. Les « écritures diplomatiques » peuvent ainsi revêtir des styles bien différents selon les pays et les cultures, chacune doit, pour autant, être considérée avec le même respect. Ce fut ma deuxième leçon.  

Quelques années plus tard, j’eus droit à ma troisième leçon : je venais d’arriver à notre ambassade auprès des Nations Unies à New-York. L’ambassadeur, Jacques Leprette (photo), qui fut membre de notre Académie, me demanda de lui préparer une première intervention au Conseil de Sécurité pour mettre en œuvre les instructions reçues de Paris. Je préparai donc un projet en forme de démonstration implacable et je lui suggérai d’être le premier orateur du débat : la raison commandait de se rallier à notre démonstration. L’Ambassadeur la lut et me dit : « Malheureux ! Si je lis votre texte, la France n’obtiendra aucun soutien ! Venez au Conseil avec moi ! ». Jacques Leprette n’intervint pas le premier, ni le deuxième, ni le troisième. Sur les quinze membres du Conseil, il fut le dixième orateur. Et, au lieu de lire mon texte, il reprit les éléments des orateurs précédents qui coïncidaient avec la position française, en soulignant combien ils avaient raison. A l’issue de ces éloges intéressés, il n’avait plus qu’à ajouter ce que Paris nous demandait et que les autres n’avaient pas pris en compte avant lui : « Peut-être… Peut-être faudrait-il ajouter à ce que mes chers collègues ont déjà dit et que mon pays approuve sans réserve, tel élément qui viendrait harmonieusement compléter ce qu’ils ont si justement souligné ! » Du grand art !  

Cette règle de l’écoute attentive vaut tout aussi bien dans la relation bilatérale : quand on négocie un accord, il est conseillé de commencer par écouter longuement afin de bien comprendre, autant que possible, ce que l’autre partie souhaite obtenir avant d’engager la négociation à proprement parler.  

La quatrième leçon apprise au fil des ans porte sur les objectifs des « écritures diplomatiques », et je voudrais conclure avec deux derniers exemples.  

Le 11 septembre 2001 à New York, la pire attaque terroriste de l’Histoire détruisit les Tours Jumelles (photo). Pendant ce mois de septembre, la France présidait le Conseil de Sécurité. Avec mon équipe, nous ne pouvions contacter Paris mais nous étions convaincus que nous devions prendre une initiative car les Etats-Unis allaient certainement réagir avec tous leurs moyens, et l’ordre international dépendrait largement du choix qu’ils feraient : soit agir seuls et ils en avaient les moyens, soit s’engager avec la Communauté internationale rassemblée à leurs côtés. Or le Sénat américain, sous la tutelle de Jesse Helms, boycottait les Nations-Unies. Avec mes collaborateurs, nous avons pris l’initiative d’un projet de résolution du Conseil décidant la création d’une coalition globale contre le terrorisme international. Le lendemain 12 septembre, en présence de Kofi Annan, la résolution fut adoptée à l’unanimité du Conseil de Sécurité en une heure, un record ! Et elle obtint l’effet voulu : le Sénat américain décida de renouer avec l’ONU, de payer tous ses arriérés et d’envoyer à New York, sans délai, le nouvel ambassadeur dont la nomination était bloquée depuis des mois. Le Président Chirac fut, quelques jours plus tard, le premier chef d’Etat à se rendre à New York et Washington pour marquer notre soutien à l’Amérique attaquée. L’ « écriture diplomatique » avait atteint son but : l’Amérique et le reste du monde étaient rassemblés derrière un même objectif.  

Mais c’est sans doute l’Accord de Paris sur le Climat, négocié en 2015 sous la présidence de Laurent Fabius (photo) entre les 196 pays de l’ONU qui illustre le mieux l’importance mais aussi les limites de l’ « écriture diplomatique ». Aujourd’hui, alors que le changement climatique devient une réalité perceptible par tous, alors que l’ordre mondial et la paix sont menacés par le retour de la guerre sur le continent européen et les tensions croissantes en mer de Chine, il faut espérer que les « écritures diplomatiques » contribueront à restaurer pleinement une coopération internationale plus nécessaire que jamais. Mais, disons-le clairement, ces « écritures diplomatiques » ne sont que des outils. Elles ne peuvent aboutir à des résultats positifs et durables que s’il existe entre les pays concernés des volontés politiques convergeant vers des objectifs partagés. Existent-elles aujourd’hui ? 

 

Un discours prononcé par l'ambassadeur Jean-David Levitte à l’Institut de France, au nom de l’Académie des Sciences Morales et Politiques sur le thème des « Écritures Diplomatiques ».

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