Afghanistan : les raisons d’un grave échec américain
Afghanistan : les raisons d’un grave échec américain
Le 4 juillet, les États-Unis achèveront leur retrait d’Afghanistan, mettant un terme à la plus longue guerre de leur histoire : vingt ans. Les médias américains et du monde entier sont unanimes : cette guerre s’achève sur un grave échec. Chassés de Kaboul en 2001, les Talibans ont toutes chances d’y revenir en maîtres, avec dans leurs bagages Al Qaida et Daech. Déjà les attentats se multiplient, comme cette explosion dans une école de filles à Kaboul le 8 mai, qui a fait 85 victimes innocentes.
Dès lors, des questions se posent, auxquelles je vais tenter d’apporter des éléments de réponse : fallait-il y aller et comment ? Si oui, fallait-il rester et comment ?
Le hasard ou le destin m’aident à répondre aux deux premières questions : ambassadeur de France aux Nations Unies en 2001, président du Conseil de Sécurité pendant le mois de septembre, je me suis totalement engagé pour que l’ONU agisse, avec une conviction : frappés au cœur, le 11 septembre, par le pire attentat de l’histoire, au moment même où ils s’affirmaient comme la seule «hyper-puissance», les Etats-Unis allaient réagir massivement. Ils pouvaient le faire seuls, ou avec le soutien du monde entier. À Washington, le Congrès, sous l’impulsion de Jessie Helms, boycottait les Nations Unies. En prenant l’initiative à l’ONU, la France pouvait peut-être convaincre l’Amérique de jouer collectif. L’avenir de l’ordre international allait dépendre de la réponse à cette question.
Premier chef d’État à se rendre à New York dès le 18 septembre, puis à Washington, Jacques Chirac acheva de convaincre le président Bush d’agir en pleine coopération avec les Nations Unies. Les Talibans refusant de livrer Ben Laden, une coalition internationale regroupant une quarantaine de pays fut rapidement créée et, en cinq semaines, les chassa de Kaboul avec le concours des forces afghanes de l’Alliance du Nord. Le 5 décembre 2001, à Bonn, une conférence internationale mit en place un nouveau gouvernement avec à sa tête le président Karzai. Mission accomplie !
D’où les deux autres questions : la coalition internationale devait-elle rester présente en Afghanistan ? Si oui, avec quels objectifs et pour combien de temps ? Ces questions sont, de loin, les plus difficiles et elles se posent pour toutes les interventions internationales. Les dirigeants français y sont confrontés aujourd’hui au Sahel.
Un premier élément de réponse se situe dans la clarté et les limites précises du mandat fixé aux opérations militaires et civiles, comme dans la détermination à s’y tenir. Deux exemples opposés, impliquant également les Etats-Unis, peuvent être cités : lors de la guerre du Golfe pour libérer le Koweït de l’invasion irakienne, en 1990/1991, le président Bush (père) sut résister aux pressions que les néo-conservateurs exerçaient sur lui pour aller jusqu’à Bagdad, en soulignant que la coalition de 35 pays conduite par Washington avait reçu des Nations-Unies un mandat clair et limité : repousser les troupes de Saddam Hussein jusqu’à la frontière irakienne et pas au-delà. Ce fut un succès remarquable. En 2003, le président Bush (fils) se laissa embarquer par les mêmes néo-conservateurs dans la guerre en Irak sans mandat des Nations Unies et sous des prétextes fallacieux allant de prétendus stocks d’armes de destruction massive à l’établissement de la démocratie au Moyen-Orient… Résultat : un désastre.
En Afghanistan, les objectifs politiques et sociaux allaient bien au-delà des missions et des compétences des contingents militaires sans qu’ils aient prise sur les évolutions du pays. Parier sur l’entente des forces politiques afghanes était plus que risqué ! De surcroît, le Pakistan continua (et continue toujours) à offrir une base arrière et un soutien logistique aux Talibans. La France, sagement, décida de retirer son contingent il y a dix ans.
La conclusion que j’en tire, et qui s’applique à toutes les opérations de ce type, est simple à énoncer, mais très difficile à mettre en œuvre : il est essentiel qu’un pacte clair et contraignant lie, dès le départ, les autorités nationales du pays bénéficiant de l’engagement militaire d’une force extérieure et le(s) gouvernement(s) responsable(s) de cette force. En un mot : les autorités du pays aidé doivent savoir que si elles ne peuvent pas ou ne veulent pas tenir leurs engagements, la force venue à leur secours se retirera. Faute de cette épée de Damoclès, les responsables locaux rechignent trop souvent à mettre en œuvre les changements nécessaires, procrastinent et les forces étrangères deviennent progressivement les otages de cette impasse.
N’en concluons pas que d’autres pays auraient fait mieux que les États-Unis en Afghanistan : la Russie, l’Iran et la Turquie ont décidé d’intervenir en Syrie à partir de 2015. Le résultat six ans plus tard est la destruction quasi-totale du pays, 500.000 morts, des millions de déplacés et réfugiés et le maintien du dictateur responsable de cette catastrophe. Mais peu importe aux dirigeants de Moscou, Téhéran et Ankara : leur objectif n’est pas d’établir la paix et la prospérité mais d’imposer leurs sphères d’influence, en Europe, au Moyen-Orient et même au Sahel.
Or, soyons conscients qu’après deux guerres ratées, en Afghanistan et en Irak, comme après la guerre du Vietnam, le peuple et les dirigeants américains, mobilisés par l’irrésistible ascension de la Chine, sont allergiques à toute intervention militaire dans l’espace euro-méditerranéen comme au Sahel. Raison de plus pour les Européens, avant tout engagement, d’en définir strictement les objectifs comme les moyens nécessaires au succès, et de s’y tenir ! C’est la dernière leçon que je tire du retrait américain d’Afghanistan.
Cet article a été publié originallement sur le site de l'Académie des Sciences Morales et Politiques.
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